Souvenirs de guerre du chanoine Henry George :
Etant donné que dans la chronique religieuse du mois de juin 2016 il y a peu de choses, nous allons profiter de cela pour nous arrêter sur une figure du diocèse, le chanoine Henry George (1890-1976) et ses souvenirs de guerre.
L’abbé Henry George a été ordonné prêtre le 29 juin 1925. Il fut successivement vicaire à Pertuis en 1925, Valréas en 1926, L’Observance à Carpentras en 1931. Nommé curé de Ménerbes en 1932, il fut transféré en 1944 comme curé Châteauneuf-de-Gadagne et Jonquerette. Il fut distingué du titre de chanoine honoraire en 1962, et fut honoré de la charge de chanoine titulaire en 1967 en devenant aumônier de l’Hospice Saint-Louis.
Le chanoine Henry George, félibre majoral depuis 1948, est aussi connu pour ses nombreux ouvrages en français ou en provençal (pratiquement une vingtaine), mais aussi, excellent musicien, pour ses compositions musicales. Il a notamment écrit ses souvenirs de guerre, publiés en 1968 sous le titre : Quand ça bardait, visions et souvenirs de guerre 1914-1918.
En effet, au mois de juillet 1914, alors qu’il est en vacances en famille à Vaison-la-Romaine, il est mobilisé et rejoint la 5° compagnie du 58° Régiment d’Infanterie d’Avignon. Il a 24 ans. Il est brancardier.
Le chanoine Henry George est décédé en 1976, et de cet homme de lettre et d’art qui avait tant écrit, figure attachante du clergé avignonnais, passionné aussi bien d’histoire, de musique que de provençal, nous n’avions aucune trace aux archives. Il n’est pas le seul ! Je regrette bien souvent de voir nos prêtres disparaître une deuxième fois, lorsqu’après leur décès il ne reste presque plus de trace ou de souvenirs de leur vie, de leur mission, de leur apostolat ! Et cependant, récemment, la famille Feuillas, très proche du chanoine George, ayant recueilli les archives de ce dernier au moment de sa mort, les avait précieusement conservées. Ils ont eu l’heureuse initiative d’en faire don au service diocésain des archives. Ainsi, ses archives que nous pensions perdues depuis 1976, viennent de ressurgir ! Voilà un beau témoignage d’amitié, de fidélité et de reconnaissance rendu à un prêtre, à ce qu’il fut, à ce qu’il fit, à ce qu’il demeure !
En triant ce fonds (en cours de classement), mon regard s’est arrêté sur une petite enveloppe sur laquelle est inscrite la mention « souvenirs ayant fait la gde guerre 1914-18 » avec à l’intérieur 6 images de piété, deux feuillets de prière, un billet de consécration au Sacré-Cœur ainsi qu’une photo.
Sur la photo, on distingue les cariatides de l’Erechthéion sur l’Acropole à Athènes, avec deux militaires devant qui ne sont pas identifiables. Il s’agit là d’un souvenir de la campagne d’Orient qui de janvier 1917 à juin 1918 a conduit le brancardier George de Zeitenlick à l’Algérie, en passant par Athènes, Salonique, le Vardar et Florina.
L’acte de consécration au Sacré Cœur de Montmartre est signé Paul Suau. Ce Paul Suau, d’Apt, est évoqué dans ses archives par le chanoine George. En effet, ils se sont dévoués, tous les deux, pour aller secourir le Lieutenant Joë de Pastré, d’Avignon, qui avait été blessé le mardi 29 septembre 1916 à Avrocourt dans la Meuse.
Parmi les images, à la première place, il y a le Sacré Cœur : « au milieu des terribles épreuves que traverse notre Patrie, je viens, Seigneur Jésus, répondre à l’ardent désir de votre Sacré-Cœur. Pour toujours je me donne et me consacre à vous, qui êtes mon Créateur et mon Sauveur ». Une autre représente notre Seigneur portant la croix « Christus crucem portans », avec en haut la trace d’un trou de punaise pour accrocher cette modeste image. Le soldat qui est au combat, l’homme qui est au cœur de la guerre et de ses épreuves, comme chrétien dans la foi, s’associe à Notre Seigneur dans sa Passion.
Il y a ensuite une image de Notre Dame des Trois « Ave Maria » et une de Notre Dame des soldats chrétiens. La première, très usée, porte ces précisions au dos « cette pratique a été révélée à sainte Mechtilde (XIII° s), avec promesse de la bonne mort, si elle y était fidèle, tous les jours… réciter, matin et soir, les Trois Ave Maria avec cette invocation à la fin, le matin « Maire, ma bonne Mère, préservez-moi du péché mortel pendant ce jour ». Le soir « Marie, ma bonne Mère, préservez moi- du péché mortel pendant cette nuit ». L’autre est un appel aux familles pour une union de prière en faveur des soldats chrétiens. Evidemment, dans la difficulté du combat, on fréquente quotidiennement la mort, et combien cette présence maternelle de Marie a dû être précieuse pour Henry George, orphelin dès l’âge de 5 ans.
Une image de Saint-Thérèse de l’Enfant-Jésus, avec une relique, accompagne cette modeste collection. Il est inscrit au dos qu’il s’agit d’un souvenir de M.-.L. Blanc.
Enfin, deux textes de prière : l’un pour l’Armée, l’autre un billet du soldat. Je veux retranscrire en entier ce billet du soldat, parce que même s’il a été composé en temps de guerre, il concentre peu de mots, non seulement une profession de foi, d’espérance et de charité, mais aussi, pratiquement, un programme de vie chrétienne : « je proteste que je veux vivre et mourir dans la religion catholique, dans l’amour de Dieu, de ma patrie et de ma famille. Conformément à mes vœux du baptême, je promets d’observer fidèlement les commandements de Dieu et de l’Eglise. Dans ce but, pour venir en aide à ma faiblesse, je me propose de m’approcher, le plus souvent possible, des sacrements me souvenant de cette parole du général de Sonis ‘Quand on porte Dieu dans son cœur, on ne capitule jamais’. Je serai fidèle à ma prière du matin et du soir, ou, tout au moins, si je suis empêché, j’élèverai mon cœur vers Dieu pour l’adorer et me recommander à Lui. J’aurai une dévotion filiale à la Très Sainte Vierge, ma bonne Mère du Ciel. Pour me mettre sous sa protection et me préserver des dangers du corps et de l’âme, je porterai toujours sa médaille ou son scapulaire, et je réciterai chaque jour Trois Ave Marie, en son honneur, autant que possible, matin et soir, ainsi que dans les moments périlleux, avec un bon acte de contrition. Si je venais à être blessé dangereusement, je demande l’assistance d’un prêtre catholique. En cas de mort, je réclame les prières de l’Eglise et l’inhumation religieuse. Ce billet trouvé sur moi sera l’expression de ma volonté formelle. Vive le Christ qui aime les Francs ! Notre-Dame, saint Michel et Jeanne d’Arc, sauvez encore une fois la France et rendez-nous victorieux ».
Cette modeste évocation nous fait comprendre combien ce qui fait la valeur des archives ce n’est ni l’ancienneté des documents, ni leur rareté, ni la valeur marchande du papier, mais le témoignage que portent ces documents, et finalement, le portrait qu’ils tracent d’une personne, d’une famille, d’une communauté ! En effet, l’archiviste n’a pas à faire, d’abord, à des papiers, il a à faire à des personnes, à leur vie, à ce qu’elles ont fait, et bien souvent, à travers tous ces documents, se dévoile la beauté d’une âme.
(N.B. : certains ouvrages du chanoine George sont disponibles à la vente au Service des Archives Diocésaines)
Abbé Bruno Gerthoux
Archiviste diocésain