Le précieux héritage vivant du témoignage des treize sacramentines fut, comme l’avions vu dans la précédente chronique, ce qui fortifia et unit les maisons fondées par la Révérende Mère de la Fare à Bollène, Avignon et Carpentras, assurant une continuité entre les anciennes mères et les nouvelles !
La Mère de la Fare offrant à Marie ses 13 religieuses sous la Terreur
tableau du monastère de Carpentras, édité sous forme de carte postale
Ce qui fut semé avant la Révolution, portant un fruit héroïque pendant cette dernière, continua à étendre ses racines et porter un fruit d’adoration, de fidélité et de sacrifice. Pour autant, ce fruit n’est pas resté caché dans la discrétion et l’humilité du cloître, protégé du monde mais ouvert sur le ciel. Les liens entre les moniales, leurs supérieurs ecclésiastiques, leurs aumôniers, les pensionnaires qu’elles recevaient et dont elles prenaient soin, les familles des moniales et des pensionnaires, les familiers et fidèles de leurs chapelles conduisirent à faire rayonner ce témoignage hors les murs des monastère, suscitant enthousiasme et ferveur.
Le congrès eucharistique de 1884
« L’an passé, quand Votre Grandeur eut la très-douce et très sainte consolation de présider les assises eucharistiques, on rappela dans des travaux remarquables les principales gloires du Comtat qui doivent leur origine, leur épanouissement et leur éclat au culte particulier du Dieu du tabernacle. Parmi ces gloires, il en est une qui fut spécialement admirée et applaudie. C’est celle qui rejaillit sur l’Institut des Sœurs du S. Sacrement par l’exécution effroyable de la Communauté presque tout entière de la maison de Bollène sur un des cours de la ville d’Orange. L’héroïsme tranquille déployé par ces saintes filles en présence de l’échafaud les a comme constituées les représentantes du cloître en face de la Révolution. Impossible de mourir avec plus de simplicité, de courage, de sérénité. » Par ces mots, en forme de prologue, l’abbé Grimaud introduisait la lecture qu’il allait faire d’une poésie historique de sa plume, en langue provençale, à l’occasion d’une séance commémorative du Congrès eucharistique, publiée par la suite en 1884 chez Aubanel, li Qaranto-dos mounjo d’Aurenjo.
Auguste Grimaud est né à Monteux le 11 février 1837. Après son ordination le 25 mai 1861 il fut professeur à Sainte-Garde, puis successivement vicaire à L’Isle en 1865 puis à Saint-Agricol en 1868. Il fut ensuite recteur d’Entraigues en 1874 puis de Sorgues en 1884. Distingué du titre de chanoine honoraire, il se retira à Monteux en 1905 où il est décédé le 21 janvier 1917. Il « est connu en Provence et dans le Comtat par le succès de ses prédications provençales, qu’il a inauguré dans la plupart des paroisses importantes du diocèse d’Avignon » (Vaucluse, dictionnaire annuaire et album, Paris, 1904, p. 336). Quelques vers tirés de cette poésie historique mettent en évidence le rayonnement du témoignage des sœurs au-delà des murs du cloître.
(le texte complet est téléchargeable)
Bouleno avié dous nis |
Bollène avait deux nids |
Sout i rai manefique |
Sous les rayons magnifiques |
L’autre, sempre en turbulo, |
L’autre toujours joyeux, |
Santi sacramentino, |
Saintes Filles du Saint-Sacrement |
Dins un grand oustalas lis embarrèron ; |
Dans une vaste maison ensemble on les enferma |
Muraio dou couvent, o clastro benurado, |
O murs du monastère, ô cloître béni |
Eila la pas, lou cant, lou travai et la joio, |
Là-bas, la paix, le chant, le travail et la joie |
O Vierge, es vous que sias li roso ! |
O Vierge, c’est vous qui êtes les roses |
Le Centenaire
« Si notre ordre tout entier doit s’apprêter à honorer la mémoire de nos glorieuses sœurs, immolées par la Révolution en haine de la religion et de notre saint état, combien plus doivent le faire les trois maisons où la Mère de la Fare a laissé son souvenir uni à celui des martyres ? » (cotation provisoire 206/38, p. 211). « Nous savons déjà que Bollène, Avignon et Carpentras ont célébré avec autant de pompe que de piété le premier Centenaire de nos vénérées martyres. Nos autres monastères ont eu leur fête aussi » note la chronique du monastère du Saint-Sacrement de Carpentras en juillet 1794 (cotation provisoire 206/38, p. 236).
Image souvenir du Centenaire à Carpentras
La Maison de Taunton, en Angleterre, fondée par le monastère de Bollène en 1863, s’est aussi associée aux fêtes du Centenaire « à partir du 5 juillet jusqu’au 26 du même mois, nous avons récité ensemble, chaque jour, les litanies ou invocations de nos saintes martyres …Chaque jour aussi, en l’honneur de nos sœurs, nous nous sommes imposées 13 actes de mortification spéciale… Nous espérons que ces fêtes en l’honneur de nos glorieuses sœurs, nous aurons attiré leur protection particulière, et que désormais elles nous aideront à suivre les beaux exemples qu’elles nous ont tracés » (cotation provisoire 206/3, p.288).
Chapelle de la communauté de Taunton, Angleterre
A Carpentras, les cérémonies du Centenaire se sont déroulées les 11 et 12 juillet. Pendant trois jours, le R.P. Chérasse, jésuite de Marseille et ami de la communauté, est venu enseigner les moniales pour les préparer à cette fête : elles se sont élevées parce qu’elles ont contemplé le Tabernacle ; elles se sont élevées parce qu’elles ont compris le Tabernacle ; elles se sont élevées parce qu’elles ont aimé et imité le Tabernacle. Les sœurs, avec l’aide de Monsieur Faucon, d’Avignon, se sont employées à la décoration de la chapelle « entres les faisceaux d’oriflammes, on pouvait compter dans toute l’étendue de la chapelle, autant de couronnes de roses que de martyres à vénérer en ce beau jour ». Que ce soit au monastère du Saint-Sacrement, ou à la cathédrale de Saint-Siffrein pour la messe solennelle, l’assistance fut nombreuse et fervente. Au monastère, le jeudi matin, le RP d’Alauzier, prieur du couvent des dominicains de Carpentras, présida la messe, témoin des liens qui unissent les Moniales du Saint-Sacrement, filles du VP Antoine Le Quieu, avec l’Ordre des Frères Prêcheurs.
Dans une lettre circulaire du 6 juin, le monastère de Bollène donnait le coup d’envoi des festivités, annonçant le programme du Centenaire « Nos sœurs font des préparatifs d’ornementation pour notre église, car elles veulent, disent-elles, fêter cette phalange bienheureuse de la famille sacramentine » (cotation provisoire 203/3, p. 210). A la date fixée par M. le curé de Bollène, « le 17 (juillet), la chapelle des sœurs sacramentines était magnifiquement ornée comme aux plus beaux jours de fête… Le soir, après vêpres, M. le chanoine Grimaud, curé de Sorgues, a, dans un magnifique discours, rappelé les vertus et l’héroïsme des treize sacramentines » (La Croix d’Avignon et du Comtat, 2° année, n°82, 22 juillet 1894). Le chanoine Grimaud est intervenu à nouveau le 18 au soir, par un discours « qui a vivement impressionné l’assistance », après les célébrations et messes qui eurent lieu à la chapelle de Notre-Dame-du-Pont et à l’église paroissiale pour la messe célébrée par l’abbé Charasse, vicaire général.
Charasse, vicaire-général
Les moniales de la maison d’Avignon célébrèrent ce Centenaire le lundi 23 juillet, « leur chapelle (rue Philonarde) avait revêtu ses plus beaux ornements de fête. Dans le sanctuaire, des oriflammes jaunes, portant des inscriptions bibliques relatives à l’Eucharistie, encadraient éloquemment le T.-S. Sacrement, qui est resté exposé toute la journée à l’adoration des fidèles ». Au cours de la messe célébrée par l’abbé Charasse, avec l’assistance d’un nombreux clergé, c’est le chanoine Grimaud qui monta en chaire, disant « que le martyre suppose la sainteté, qu’il s’épanouit dans le sacrifice et qu’il transforme dans la gloire… (il) fait admirer la sainteté de nos Sacramentines dans leur prison, leur intrépidité de caractère et leur courage devant les juges, dans le cirque, après la sentence et sur l’échafaud. » (La Croix d’Avignon et du Comtat, 2° année, n° 83, 29 juillet 1894)
Un Centenaire
Tel est le titre d’une poésie de quinze strophes de sœur Marie de l’Eucharistie que l’on trouve insérée dans le livre des chroniques du monastère de Carpentras pour les années 1893-1894 (cotation provisoire 206/38, p. 226-227).
L’auteur est vraisemblablement la soeur Marie de l’Eucharistie Génillard. Marie-Rose Hélène Raphaëla Génillard est née à Genève le 24 octobre 1868 . Née dans le protestantisme, elle est accueillie dans la pleine communion de l’Eglise catholique le 24 octobre 1889 à Salins, dans le Jura. Après son entrée au monastère de Carpentras, elle a revêtu l’habit de l’Ordre le 24 mai 1892 et fit profession le 2 janvier 1894. Elle fut aussi supérieure de la communauté de Carpentras par la suite.
Après avoir évoqué sa prière, d’adoration, de méditation et de contemplation, elle fait parler sainte Létance, martyre vénérée au monastère de Carpentras, qui présente un bouquet de treize lys, qui lui sont comme des sœurs et compagnes dans le martyre. Puis les vers font parler les religieuses sacramentines victimes de la Révolution :
C’était aux jours mauvais où la France tremblanteAu gré de ses bourreaux, se mourait languissantePrès d’un sceptre brisé.Où ce peuple des rois, par la main des impiesMassacrait l’innocent, profanait les HostiesAu cri de : Liberté !
….
Aux cloîtres de Jésus, on portait le messageLes vierges résistaient, car, le plus fier courageSurgit dans les cœurs purs.Et, sans leur volonté, tous ces bourreaux impies,A l’Epoux adoré préparaient des hosties,Les épis étaient mûrs.
…
Plus tard, dans la prison, comme auprès de l’HostieOn entendait encore la grave psalmodieComme un suprême appel !Puis le bourreau venait, et cette humble prièreCommençant ici-bas dans la prison sévère,Se terminait au Ciel !
Cette poésie exprime admirablement, en des termes délicats, à la fois le cœur de la vocation d’une religieuse sacramentine, comment leur vie consacrée a formé leur cœur et leur âme de telle sorte qu’elles vécurent avec courage et force le martyre, fidèles à leur engagement, et combien leur exemple demeure une source de force pour celles qui ont poursuivi cette vie consacrée à leur suite, à leur école.
Epuiser vaillamment, jusqu’au fond, le caliceDu devoir journalier et de son sacrificeRenouvelé sans fin :C’est le ciseau de choix dont Dieu sculpte les âmes,Tout en les consumant des ineffables flammesDe son amour Divin
L’Holocauste
(texte complet en téléchargement)
« A la prière de ma sœur assistante, directrice actuelle du pensionnat, M. l’abbé Deyglun, vicaire à Saint-Siffrein, compose pour nos jeunes élèves un drame sur nos saintes martyres. Il sera joué à la prochaine distribution des prix. Nous reparlerons de ce travail dont l’intérêt sera saisissant, vu le talent de l’auteur » (cotation provisoire 206/38, p.212)
Henri Joseph Deyglun est né le 6 septembre 1862 à Philippeville, en Algérie, de parents originaires de Cavaillon et d’une famille issue des Basses-Alpes avant la Révolution. Ordonné prêtre le 19 décembre 1885, il est nommé professeur de lettres au Petit-Séminaire de Sainte-Garde. A partir de 1893 il est vicaire à Saint-Siffrein de Carpentras et en 1895 assurera aussi l’aumônerie des prisons du lieu. Quelques mois plus tard, il est nommé recteur de Puget, et l’année suivante est précepteur à Uchaux jusqu’en 1901 pour être vicaire à Vaison. De 1902 à 1931 il entreprit "une vie de pérégrination... tantôt précepteur en Languedoc ou Catalogne, tantôt pofesseur au collège des Jésuites d’Alger, tantôt conférencier et précepteur à Rome où il se lia d’amitié avec l’illustre famille Sforza et où il fut maître du prince Buoncompagni...partout il s’était fait remarquer par la dignité de sa vie sacerdotale, l’austérité quelquefois forcée de son existence et par son grand dévouement à la gloire de Dieu. (Bulletin religieux, 1935, p. 102). Retiré à l’hospice d’Apt tout en y tenant la fonction d’aumônier, il est décédé le 31 janvier 1935.
- les archives seraient intéressées par toute photo ou représentation de l’abbé Deyglun -
Le drame historique composé par l’abbé Deyglun fut imprimé et édité par la suite, en 1896, par la Librairie Religieuse H. Oudin, à Paris et Poitiers. Le texte original, conservé aux archives du monastère de Carpentras est agrémenté de treize illustrations signées « Et. Roman », absentes de la version imprimée. Cette œuvre est constituée d’un prologue, de 3 actes et d’une apothéose, ainsi que de notes explicatives.
« L’auteur, avec son pinceau magique, nous retrace les sentiments héroïques qui animaient ces généreuses victimes, nous dépeint la joie qui rayonnait sur leur front, quand on leur signifia leur arrêt de mort… de pareilles scènes sont bien de nature à favoriser cette éducation forte et chrétienne qui manque tant de nos jours à nos jeunes filles et dont cependant elles ont un si grand besoin… » Après la remise des prix, le Vicaire-Général qui la présidait, « a recommandé aux pensionnaires de se rappeler toujours le noble exemple de ces martyres qu’elles avaient admirées sur la scène et d’imiter leur force chrétienne et leur héroïsme en ne faiblissant jamais dans l’accomplissement de leur devoir » (cotation provisoire 206/38, p. 250-251).
Signature de l’abbé Deyglun dans une dédicace à La RM Saint-Augustin
abbé Bruno Gerthoux
Archiviste
Monastère et pensionnat de Carpentras
Blason de l’Ordre du Saint-Sacrement et de Notre-Dame