Mis-à-jour le 19/02/205
Préambule
Rappel des précédentes chroniques
1° chronique : La vie édifiante de nos anciennes mères à la radio aussi
2° chronique : Hors les murs ! à la radio aussi
3° chronique : Demandez et vous recevrez, à la radio aussi
Pour en savoir plus sur les bienheureuses martyres suivre ce lien.
Introduction
Témoins de la ferveur populaire qui a entouré la béatification des bienheureuses religieuses martyres d’Orange, de nombreux cantiques ont été composés avant ou après la béatification. Ces œuvres modestes et populaires, utilisant souvent des mélodies déjà existantes, en disent beaucoup sur la façon dont les personnes ont reçu, perçu et transmis le témoignage des bienheureuses religieuses martyres.
L’idée de cette chronique m’est venue lorsque j’ai visité les bâtiments vides de l’ancien monastère du Saint-Sacrement à Bollène. Les religieuses étaient parties depuis longtemps, et avaient laissé la place à la Communauté du Pain de Vie, puis, ces dernières années à la Famille Missionnaire de l’Evangile de la Vie avec l’abbé Lelièvre. Ainsi que j’aime le répéter, un archiviste est capable de trouver des archives dans une pièce vide. Cela s’est vérifié, et je trouvai des partitions qui montraient l’attention des moniales sacramentines à la beauté de la liturgie, et parmi celles-ci de nombreux textes et partitions de cantiques en l’honneur des sœurs martyres. D’autres sources ont permis de compléter le recueil, même si celui-ci n’est assurément pas exhaustif.
Cela s’inscrit dans une longue tradition qui permettra de mettre en lumière la figure de la bienheureuse sœur Théotiste Pélissier. Les auteurs, des textes ou des mélodies, sont parfois identifiés, parfois anonymes. Toutes les mélodies n’ont pas pu être retrouvées, mais cette publication peut susciter des vocations de création musicale. Je veux donner ici une présentation des thèmes évoqués par ces cantiques, qui nous permettent de mieux connaître l’héritage spirituel de nos bienheureuses martyres, de nourrir notre attachement et notre dévotion, et nous encourager à recourir à leur intercession.
Un recueil des textes et des partitions est téléchargeable, en espérant que celui-ci pourra être complété par des créations anciennes ou récentes.
I-La bienheureuse Théotiste Pélissier
Marie Elisabeth Pélissier est née à Bollène le 15 avril 1741, sixième d’une fratrie de sept enfants, rue Droite, dans la maison familiale de son père notaire, et baptisée le lendemain par l’abbé Péloquin, curé de Bollène à la Collégiale Saint-Martin. Elle entre à 17 ans au monastère du Saint-Sacrement et fait sa profession solennelle le 25 juin 1759.
La Mère du Saint-Esprit lui reconnait beaucoup de talents, « entre autres, celui de la poésie. Elle avait une voix merveilleuse pour le chant ». Elle composa de nombreux cantiques qui sont rassemblés ici, permettant à la fois de comprendre la vocation des moniales sacramentines et de méditer le mystère de l’Eucharistie.
Même les bourreaux furent touchés par ses grâces, et la relation de Bollène du martyre précise « après sa condamnation, ayant été jetée dans la prison du Cirque, pour y attendre l’heure de l’exécution de sa sentence, ses gardiens désirant entendre sa voix, la prièrent de leur chanter quelque chose. Au même instant, montrant de la main le lieu où se trouvait la guillotine, elle entonna ces vers qu’elle avait composés en prison :
Quel auguste poteau
Dressé pour mon supplice !
L’amour est le marteau
Qui frappe sans pitié ;
Personne n’aura de moitié
A mon généreux sacrifice.
Les traites de mon vainqueur me laissent aux abois
Je suis enfin réduite à l’agonie ?
Heureuse mort qui finit sur la croix !
C’est là que se trouve la vie »
II-Les auteurs
1 - Monsieur le chanoine Clément
Jules Marius Urbain Clément est né le 4 mai 1869 au Crestet. Vers 1880 il est entré au Petit-Séminaire de Sainte-Garde. Au Grand-Séminaire, le supérieur, qui apprécie son goût et son talent musical, le nomme maître de Chœur, et il œuvra pour la réforme du chant Grégorien et de la prononciation latine. Ordonné prêtre le 23 décembre 1893, il est nommé au Petit-Séminaire de Sainte-Garde sous la direction de l’abbé Bernard, où il reçoit charge d’enseigner la musique et le dessin. En 1900, il est nommé vicaire à Saint-Symphorien et en 1901, nommé directeur de la Maîtrise de Notre-Dame-des-Doms recréée à la faveur d’un mouvement de renaissance de la musique religieuse. A partir de 1907, il est en outre aumônier des Pénitents-Gris d’Avignon, se dépensant pour remettre en honneur l’adoration diurne et nocturne.
« Le 25 mars 1908, on lui confie la Direction de la Semaine Religieuse, qu’il quittera bientôt pour prendre la Direction de la Croix d’Avignon et du Comtat. Il s’y révèle journaliste de grande classe et polémiste de large envergure » (Semaine Religieuse 1937, p. 230). En 1910, nommé Directeur des Œuvres, il impulse un élan nouveau, se montrant « créateur d’énergies, éveilleur d’enthousiasmes ». Il est nommé chanoine honoraire le 2 juillet 1912.
Mobilisé pour la Grande-Guerre, il rentre en 1917 gravement affecté par la maladie. Il est alors charge de remplacer le curé de Sérignan où il reste jusqu’en 1918, lorsqu’il est nommé curé de Notre-Dame-de-l’Observance à Carpentras, avant d’être transféré en 1925 à la cure de Saint-Pierre d’Avignon. Il est décédé le 24 mars 1937.
2 - Monsieur l’’abbé Camicas
Louis Camicas est né le 9 janvier 1873 à Marseille. Après son ordination le 29 juin 1897, il est recteur de la Roque-sur-Pernes jusqu’en 1899, où il rejoint la paroisse de Notre-Dame-de-l’Observance comme vicaire. En 1907, il est curé d’Oppède, puis de Jonquières de 1914 à 1920. Il se retire alors à Jonquières avant d’accepter la mission d’aumônier des Sacramentines de Bollène. Nommé chanoine honoraire en 1946, il quitte ce monde le 8 février 1950. Celui qui fut directeur de la revue mensuelle le Bon Ange du Foyer entre 1905 et 1930, avait confié un souhait au moment de son décès « que tous nos confrères, jeunes et anciens, s’aiment de tout cœur, dans le Christ. Qu’ils développent le culte des bienheureuses martyres d’Orange et du Vénérable César de Bus ». Il composa des cantiques et publia de nombreuses études historiques.
3 - Monsieur le chanoine Imbard
Martial Paul Imbard est né le 28 juin 1891 à Valréas. Prêtre le 29 juin 1924, il fut envoyé comme vicaire à Vaison, et l’année d’après reçut la mission de curé de Villedieu. Il y demeura 10 ans jusqu’à son transfert à la cure de Châteauneuf-du-Pape. De 1954 à 1959, il est curé de Saint-Florent à Orange, et nommé chanoine honoraire en 1958. En juillet 1959, il devient aumônier du Saint-Sacrement à Bollène où il demeurera jusqu’à son décès le 3 janvier 1963.
4 - Monsieur l’abbé Lointier
André Henri Lointier est né le 14 janvier 1874 à Vedène. Ordonné le 26 juin 1898, il est envoyé à Sault comme vicaire, et à partir de juin 1900, il dessert la paroisse de Verdolier. Fin décembre de cette année, il devient vicaire à Bonnieux, puis à Saint-Symphorien en 1903. De 1919 à 1922, il assure la mission de curé de Villes et Méthamis, puis revient à Carpentras, comme vicaire à Saint-Siffrein jusqu’en 1928. Il est alors nommé curé de Caromb, transféré à Villelaure en 1936 et finalement à la Tour-d’Aigues en 1944. Retiré à Béthanie en 1956, il reçoit encore la mission d’aumônier des Saints-Anges à Montfavet en 1959. Il est décédé le 28 décembre 1962
5 - S. Exc. Mgr Maurice Rigaud
Maurice Louis Mathieu Rigaud est né le 15 octobre 1912 à Avignon. Après son ordination le 15 juin 1935, il est successivement vicaire à Cavaillon, puis à Saint-Agricol en 1938. En 1945, il est aumônier du Lycée des Garçons, puis aumônier du pensionnat des Dames Trinitaires en 1947. Il est nommé curé-doyen de Bollène en 1950 et transféré comme archiprêtre de Saint-Siffrein à Carpentras en 1954. C’est alors qu’il est nommé évêque de Pamiers en 1961 puis archevêque d’Auch en 1968. I est décédé et inhumé à Auch le 29 décembre 1984.
6 - Les autres auteurs
Faute de temps, je n’ai pu documenter tous les auteurs identifiés : Sr Marie-Gabrielle (peut être la prieure du monastère d’Avignon), Sr Marie-Benoit, Sr Thérèse du Sacré-Cœur Martin, L. Rostang ou Rostand, les chanoines Nioullon et Chabot. Cette chronique est susceptible d’être enrichie dans les semaines à venir, au fur et à mesure des recherches, découvertes et contributions.
à suivre ...
III-Les thèmes
Chacun pourra consulter le recueil de cantiques en l’honneur des bienheureuses martyres et en apprécier la richesse. Pour nous y introduire, je voudrais évoquer quelques thèmes récurrents.
1 - Les sacramentines
Quelques cantiques sont exclusivement dédiés aux moniales sacramentines martyres. Pour elles, vouées à l’adoration du Saint-Sacrement, Jésus présent parmi nous par ce sacrement de l’Eucharistie, hostie – victime – vivante et présente, Dieu donné et offert par amour, le martyr est comme un accomplissement de leur vocation : « oh ! Non, non, la guillotine ne cause point de frayeur, pour une sacramentine, c’est le suprême bonheur » (Dans la gloire et le bonheur). D’ailleurs, le cantique « Ils ne sont plus les jours d’alarme », composé par l’abbé Camicas, est un résumé de la vocation des moniales du Saint-Sacrement et de Notre-Dame.
La souffrance et les épreuves du martyr ont été préparées par la grâce de leur vocation : « Objets des tendresses divines, chères épouses du Seigneur, vous étiez ses sacramentines et formiez sa garde d’honneur. Aux pieds de la Vierge-Marie, vous fleurissiez en sainteté, près de Jésus-Eucharistie, ne vivant que de charité » (Le martyre vous attire), « Vous savez de l’Hostie la splendeur infinie, Vierges adoratrices, à chaque sacrifice, joignez-nous à l’Hostie, de splendeur infinie » (Filles du Comtat).
Elles adorent celui qui se donne et s’offre par amour pour nous libérer et nous sauver, à leur tour, elles le suivent jusqu’au don suprême : « Bienheureuses sacramentines dans le cloître silencieux par une exacte discipline vous ravissiez le cœur de Dieu. Bienheureuses sacramentines vous trouvez la force et la vie, la vaillance, le joie divine, en adorant Jésus-Hostie » (Nobles martyres au ciel de gloire), « transformez-nous en hosties vivantes, nous espérons en votre prière » (O vous nos sœurs du ciel)
Ce qu’elles ont vécu d’une manière admirable et héroïque est un exemple et un soutien pour celles qui, après elles, ont consacrée leurs vies, dans l’Ordre du Saint-Sacrement et de Notre-Dame : « De notre Ordre, pure gloire, priez pour nous ! Au sein de votre victoire, priez pour nous ! Dans les clartés immortelles, attirez-nous sous vos ailes, O Vierges fidèles, priez pour nous » (Invocations aux bienheureuses), « O Vierges sacramentines, vous nos bienheureuses sœurs, du fond des splendeurs divines, inclinez vers nous vos cœurs ! » (O Vierges sacramentines), « Du céleste séjour, n’oubliez pas vos sœurs qui luttent ici-bas comme vous dans l’arène. Et s’il nous faut aussi succomber à la peine, embrasez-nous de vos ardeurs » (Triomphe, Victoire), « O Sœurs, vous consumiez vos flammes pour Jésus, prisonnier divin, comme vous, pour toutes les âmes sera notre destin » (Vers nos sœurs au séjour divin)
2 - Modèle, exemple et accomplissement de la vie consacrée
Le cantique Adsum (me voici) en ses couplets met en évidence la continuité entre la vocation consacrée et la consommation de ce don dans le martyre : « Jésus, à vos pieds, nous voilà… Je viens ô Sauveur bien aimé… Jésus, nous voici pour toujours ». Ce qui est vrai pour les moniales sacramentines d’une manière singulière, est vraie pour toute âme consacrée au Seigneur par amour : « s’immoler au devoir était votre loi sainte, nous la suivrons sans crainte jusqu’au divin revoir » (Au ciel)
« Votre vie, au couvent, dans l’amour de vos Mères, fut un noviciat préparant à la mort… Aussi, quand l’heure en vint, de divines lumières, vous y firent un sourire en un calme transport » (Sœurs du saint-Sacrement qui régnez dans la gloire)
3 - De chez nous
Ce qui est saisissant dans ces cantiques, c’est la conscience qu’ont les auteurs d’être les compatriotes, les frères, les enfants de ce religieuses qui ont vécu dans nos villes et villages, dans nos familles. Elles sont à portée de nos cœurs, de nos regards, de notre prière et de nos vies.
Ce qu’elles sont et ce qu’elles ont vécu est le fruit d’un héritage, le dépôt de la foi, transmis, reçu et vécu : « Martyres de chez nous, orantes à genoux, conservez de nos pères la ferveur séculaire, priant à deux genoux, martyres de chez nous » (Filles du Comtat).
Le fait de vivre dans les mêmes lieux, dans les mêmes murs, où leur coeur a brûlé dans la prière, saisit celles qui leur ont succédé : « gloire à vous ô martyres, qu’on vénère en ces lieux, gloire à vous sur les lyres de la terre et des cieux, gloire à vous, ô martyres qu’on vénère en ces lieux » (Nobles martyres d’Orange)
Les membres de leurs familles, de sang ou spirituelles, les paroisses d’où elles viennent attendent leur aide et intercession, à cause de cette communauté spirituelle ou humaine : « Ô Saintes du Comtat, tendez nous les bras, Guidez-nous sur la route, où jamais l’on ne doute, défendus par vos bras, ô Saintes du Comtat » (Filles du Comtat), « O Vierges martres, saintes de chez nous, notre chant vous attire vers nous » (O Vierges Martyres, saintes de chez nous), et cela suscite notre louange : « Vierges bienheureuses de notre pays, montées radieuses dans le Paradis… chantons les martyres du Seigneur ! Chantons les épouses du Sauveur » (Vierges bienheureuses de notre pays)
Leur protection s’étend à tout un pays, et leur témoignage consacre le pays d’où elles viennent : « du haut du ciel protégez la Provence, le Languedoc et le Comtat Venaissin, et que Jésus sur la terre de France trouve toujours des martyrs et des saints » (O Martyres d’Orange, pures comme des anges), « Adieu terre et souffrance, vous apportez au Paradis un parfum de notre Pays, l’immortelle Provence » (La joie éclate dans les cieux)
4 - Témoignage des religieuses ou fioretti
Les cantiques sont émaillés de fioretti, c’est-à-dire d’anecdotes rapportées par les témoins de leurs vies et de leur martyre, qui les ont marqués.
C’est particulièrement marquant chez les moniales sacramentines de Bollène, comme nous l’avons souligné dans la première chronique. Dans le cantique « A jamais dans les cieux », le premier couplet dit « nos murs gardent pieux de vos élans mystiques, le trésor d’amour embaumé, et sur l’autel flotte, où sœurs héroïques, de votre myrrhe parfumée », et encore. « vous priiez à genoux où nous sommes encore » (Au ciel).
En prison, les récits montrent qu’elles furent un soutien pour leurs codétenus : « Votre douceur ranime les courages dans votre cœur bat l’Amour surhumain » (Je vous salue ô blanches fleurs). Dans la prison, elles avaient poursuivi leur vie régulière : « Bienheureuses sacramentines, fidèles au Saint-Sacrement, dans la prison qui vous confine, vous faites un nouveau couvent » (Nobles martyres au ciel de gloire)
Plusieurs religieuses, au moment de l’exécution, eurent une vision prophétique qu’elles ont exprimée : « Aller souper avec les anges est un de vos ardents désirs » (Le martyre vous attire)
Cette même persévérante confiance resplendit au tribunal : « vous étiez fidèles en votre prison, soyez nos modèles dans les tentations… vous étiez si fermes devant vos bourreaux qu’arrivées au terme, vous chantiez Credo » (Vierges bienheureuses de notre pays).
D’autres témoins rapportent leur joie sur le chemin de l’échafaud : « le chant du Te Deum et du Magnificat, de vos lèvres sortait comme un chant de victoire » (Triomphe, Victoire), « A l’échafaud sanglant, vous montiez en chantant, Hosties sacramentines, vers l’Etreinte divine, soutenez de vos chants, nos cœurs parfois sanglants » (Filles du Comtat).
La bienheureuse Marie-Rose, bénédictine de Caderousse, est honorée de deux cantiques, l’un en français et l’autre en latin.
5 - Confiance en Dieu
Les récits et relations soulignent le contraste entre les moyens mis en œuvre par les Révolutionnaires – force, intimidations, brutalité, mauvais traitements – et la fragilité ou la vulnérabilité de ces représentantes du « sexe faible », qui montrent dans leur patience, leur douceur, leur persévérance une force plus grande et plus puissante, entièrement entre les mains de Dieu.
« Si je crois pour ma faiblesse, en Dieu je mets mon espoir, j’attends tout de sa tendresse, ma force est dans son pouvoir… tel était votre langage en montant à l’échafaud, ce fier et noble langage étonnait votre bourreau » (Dans la gloire et le bonheur)
« Vierges d’Amour, sur nos voies douloureuses faites briller la confiance en Dieu ! Redites-nous que Dieu est Père, et que sa main conduit tout pour un bien, qu’il est la joie de celui qui espère, et dans la mort, la Vie qui le soutien » (Je vous salue, ô Blanches fleurs)
« Car le Seigneur couronne le martyre, et j’entrevois la céleste clarté. Oui, le Seigneur couronne mon martyre. Oui j’entrevois – oui j’entrevois – la céleste clarté » (les adieux du martyr)
6 - La France et la Révolution
La Révolution, aux yeux de l’histoire, ce n’est pas si loin que ça, mais nous avons du mal à prendre conscience de la réalité et du choc qu’elle a représenté. Les troubles qui se manifestaient ne permettaient pas d’imaginer les conséquences qu’ils ont engendrées.
Ce fut un choc, vécu comme une trahison. Le cantique « A jamais dans les cieux » évoque « notre France hélas, un instant pervertie, reniant sa vocation ». Toutefois, la longue et riche histoire de la France ne pouvait être effacée d’un trait, et l’espérance que la France, Fille aînée de l’Eglise, revienne à sa vocation demeurait : « Ah ! Désormais pour notre chère France, que votre sang soit un gage d’amour, gage de paix et aussi d’espérance, attirez-nous vers l’immortel séjour » (Anges des Cieux).
La vie et le martyre des religieuses martyres est un motif d’espérance : « Nous mettons notre espérance entre vos mains, saintes sœurs. Ah ! Sauvez, sauvez la France, et ranimez tous les cœurs » (Dans la gloire et le bonheur). En effet, tout montre que ces événements, qui échappent aux hommes, ne sont qu’un épisode, conduit par des sentiments et des idées qui ne sont ni rationnels, ni humains : « Au jardin de Bollène, ils en sont arrachés un jour par l’enfer et la haine » (La joie éclate dans les cieux).
La réponse juste à la haine n’est pas du même matériau : « de votre cœur sacrifié, lisons l’ardente charité, et la sainte Espérance, Daignez augmenter notre Foi et rendre à Jésus notre Roi, la couronne de France » (La joie éclate dans les cieux). C’est l’amour, et non la haine, qui peut sauver le monde, et cette conviction, confirmée par le témoignage des martyres, encourage les chrétiens : « Et si le Maître Tout-Puissant pour racheter la France voulait aussi tout notre sang, il est offert d’avance, sur l’échafaud du pur amour. Nous montons toutes en ce jour, pleines de confiance, en votre libéralité, ô Victimes de Charité, Gloire de notre France » (La joie éclate dans les cieux). Nourrissant ainsi la prière de chacun : « La Patrie vous supplie, venez, venez la secourir. Fleurs de France, l’espérance soutient nos cœurs, venez la guérir » (Le martyre vous attire)
7 - les fleurs et le combat
Le vocabulaire floral est très présent dans ces cantique, soulignant encore le contraste entre la brutalité vulgaire des séides de la Révolution, et la délicatesse fragile et vulnérables de femmes simples et authentiques, ces « fleurs de notre terroir » (Filles du Comtat), auxquelles on recourt par la prière : « fleurs suaves d’innocences, priez-pour nous » (Invocations aux bienheureuses).
Toutefois, ces fleurs modestes et vulnérables sont aussi appelées phalange ! La phalange est une formation de combat dans l’armée grecque : « O phalange toute sainte, cœurs virils sans nulle feinte, O Vierges sans crainte, priez pour nous » (Invocations au Bienheureuses), « Phalange magnanime » (Nobles martyres d’Orange), « voyez-vous s’avancer cette blanche phalange de vaillantes martyres pour défendre leur foi » (Vierges au cœur rempli d’amour).
. Mais leurs armes sont précisément leur délicatesse, leur modestie et leur vulnérabilité.
Leur force, c’est d’abord leur pureté, c’est-à-dire, ce qui les a conduit, chacune, à donner leur vie par amour : « Je vous salue, ô blanches fleurs divines qu’un souffle impur jamais n’osa ternir » (Je vous salue, ô blanches fleurs). Le symbole de cette pureté, c’est le lys, blanc immaculé et beau entre toutes les fleurs, au parfum intense :« Trente-deux cœurs immolés, trente-deux lys immaculés d’un petit coin de France » (La joie éclate dans les cieux), « Et les plus beaux lys immaculés, empourprés du martyre, tout près de Jésus sont allés nous laissant leur sourire » (La joie éclate dans les cieux), « Montez beaux lys, lys tout divins » (La joie éclate dans les cieux).
Ces fleurs, semées dans des familles ferventes, ont pu croître et s’épanouir dans les cloîtres : « Dans le jardin du Divin Maître, vous grandissiez avec amour, pour le servir, le mieux connaître et l’adorer la nuit, le jour » (Le martyre vous attire). Et cette vie consacrée les a préparées au don suprême : « Le martyre vous attire, entr’ouvrez vous, ô fleurs d’autel, du parterre, de la terre, allez beaux lis, fleurir le ciel » (Le martyre vous attire).
Les fleurs associent la fragilité à la beauté, répandant un parfum intense qui persiste. Lys, symboles de pureté par leur blancheur ; roses qui évoquent la passion ; violettes dont la modestie n’a d’égale que leur parfum ; palmes, attributs du martyres, qui demeurent vertes même lorsqu’elles sont coupées ; œillets, associé au clou de girofle, et par suite à la Passion du Seigneur, au parfum soutenu : « Vous êtes le lys embaumé, la belle rose sans épines, qui croissent au Jardin fermé » (Nobles martyres au ciel de gloire), « Comme un bouquet de lys blancs et de roses, votre martyr embaume le Pays » (O Martyres d’Orange, pures comme des anges), « Roses, des cieux le sourire, blancs œillets des saints parvis, palmes sacrées du martyre, gerbe mystique de lys » (Oraison des bienheureuses), « Fleurs immaculées, parfumez nos cœurs ; palmes empourprées, protégez vos sœurs » (O Vierges sacramentines), « Lis de blancheur sans pareille, roses vermeilles du Paradis, mystiques fleurs des sacrés parvis, ayez pitié de notre misère, priez pour nous » (O vous nos sœurs du ciel).
Leur victoire, est précisément ce qui apparait aux yeux du monde comme leur faiblesse voire leur défaite, mais leur parfum persiste : « O beaux lys empourprés, les palmes en vos mains, fleurissez dans le Ciel, régnez avec les Anges, priez Jésus pour nous, glorieuses phalanges ! Brillez ! Brillez parmi les saints » (Triomphe, Victoire), « épouses de Jésus les roses du martyre ont couronné vos fronts éclatants de blancheur » (Vierges au cœur rempli d’amour), « De notre Provence vous êtes les fleurs, roses, rouges et blanches martyres au grand cœur » (Vierges bienheureuses de notre pays)
8 - Victoire de l’Amour
Ce qui transparait et émerge, c’est la conscience et la confiance dans le fait que l’Amour est plus fort que la mort : « Prêtez-nous, tendres sœurs, pour les heures cruelles, votre amour plus fort que la mort » (cantique A jamais dans les cieux).
Le témoignage des bienheureuses martyres dans des circonstances particulières, nous renvoie à notre propre vie et à son issue : « Quand viendra notre tour de délaisser la terre, fasse notre prière que nous mourrions d’amour ! » (Au ciel).
Brutalité, violence, injustice, souffrance… tout cela passe : « de votre cœur sacrifié, lisons l’ardente charité, daignez augmenter notre foi » (La joie éclate dans les cieux), « Dans la prison, on vous enchaîne, souffrir vous est délicieux, mais c’est l’amour qui vous entraîne car votre cœur habite aux Cieux » (Le martyre vous attire). Elles s’associent à la Passion du Seigneur, et le reçoivent comme une grâce : « Par votre sang offert en sacrifice, uni au sang du divin Rédempteur, obtenez-nous la Paix dans la justice, la Charité, l’amour du Sacré-Cœur » (O Martyres d’Orange, pures comme des anges).
Leur joie, leur enthousiasme, loin d’être de l’inconscience, met en évidence leur force : « Ô Martyres, Vierges sublimes, à Dieu vous offrez votre sang, à Dieu, vous allez unanimes, Pour Dieu, vous mourez en chantant. En vous s’élève cette flamme qui brûle au cœur des Séraphins, feu du Ciel ! Oh ! Puisse mon âme brûler, foyer d’amour divin » (O nobles sœurs, l’homme insensé).
Ce témoignage nous encourage et nous affermit : « Le saint Amour est une force qui triomphe de tout. Dans le Comtat, soyez l’amorce du feu qui prendra tout » (Saintes martyres hosties d’amour), « Pour tous ceux qui vers Lui aspirent dans les noirs cachots, proche du martyre, ô Sœurs, priez ! D’une main douce à leurs âmes frêles, répandez en elles votre amour vainqueur, gardez-les fidèles, sœurs bien-aimées ! » (Supplication à nos bienheureuses).
La conclusion est simple et admirable : « Triomphe, victoire, Amour, Honneur et Gloire ! Voici, voici le jour où triomphe l’amour » (Triomphe, Victoire)
IV- le cantique d’un prêtre
J’ai placé, comme une pierre précieuse sertie par ces cantiques, celui qui est attribué à un prêtre, qui l’aurait composé en prison et chanté en montant à l’échafaud. Ce manuscrit est ancien, conservé dans les archives des monastères du Saint-Sacrement, sans mention de date ni de nom.
Il peut illustrer le martyre de la bienheureuse Marie-Rose et du chanoine Lusignan, qui ont paru s’encourager l’un l’autre au martyre, manifestant une confiance inébranlable en la grâce de Dieu.
A travers ces chroniques, nous voulons apprendre à connaître ces bienheureuses religieuses martyres de chez nous, qui semblent éloignées dans le temps, mais si proche par leur vie et leur témoignage. Que notre attachement à chacune nous permette de recourir à leur intercession et d’avoir l’audace de leur demander des miracles, signes de leur sainteté.
Abbé Bruno Gerthoux
Archiviste du diocèse d’Avignon