Chronique d’une béatification : Demandez et vous recevrez !

22 janvier 2025

Préambule

Rappel des précédentes chroniques

1° chronique : La vie édifiante de nos anciennes mères à la radio aussi

2° chronique : Hors les murs ! à la radio aussi

Introduction

Dans la préface de son ouvrage évoqué plus loin, l’abbé Redon confie « en apprenant, qu’à Rome, la Congrégation des Rites venait d’admettre la Cause de Béatification ou Déclaration du Martyre des seize religieuses Carmélites de Compiègne, qui furent guillotinées à Paris, le 17 juillet 1794 ; nous nous sommes souvenus, qu’à la même époque, du 6 juillet 1794 au 26 du même mois, on guillotina à Orange, en haine de la foi, trente-deux religieuses, dont vingt-neuf étaient natives de Bollène ou religieuse dans un des deux monastère de cette ville » (p. XI).

Citant Rohrbacher dans son Histoire Universelle de l’Eglise catholique (tome XXVII, p. 580), qui après avoir relaté le martyre des carmélites de Compiègne, évoque les martyres d’Orange disant qu’ « à l’extrémité méridionale de la France, on vit un spectacle pour ainsi dire plus admirable encore », l’abbé Redon insiste sur l’importance non seulement de connaître cette page d’histoire, mais aussi le témoignage de foi de ces religieuses, la figure de chacune d’elle, et encore plus, de recourir à leur intercession. 

Monseigneur Redon et la cause des religieuses martyres

François Xavier Marie Redon est né le 3 avril 1830 à Caseneuve. Dès 1851, avant son ordination qui aura lieu le 10 juin 1854, il est nommé professeur de rhétorique au Petit-Séminaire d’Avignon. Distingué en 1865 du titre de chanoine honoraire, il devient brièvement recteur (curé) de Saint-Didier en 1871. Il avait en effet été tenté de quitter l’enseignement pour se consacrer au ministère paroissial, mais étant allé consulter le saint curé d’Ars, celui-ci lui conseilla de n’en rien faire. En octobre 1874 il est nommé supérieur du Petit-Séminaire de Sainte-Garde, et vicaire-général de Mgr Dubreil en décembre de la même année. De 1876 à 1881, il est supérieur du Petit-Séminaire d’Avignon, tout en assumant la charge de vicaire-capitulaire au décès de Mgr l’Archevêque à partir de 1880. Il est fait prélat de Sa Sainteté par le pape en 1879. Il sera par la suite successivement vicaire-général de Mgr Hasley en 1880, de Mgr Vigne en 1885, de Mgr Sueur en 1907. A l’occasion de son décès survenu le 23 juillet 1912, l’archevêque fit « un vivant portrait du défunt : trois traits caractérisent la physionomie de ce patriarche du sacerdoce : une foi d’enfant, l’érudition d’un savant d’église, la conscience d’un discret, prudent et intègre administrateur » (Bulletin religieux du diocèse, 1912, p. 306).


Mgr Redon

Ce « prêtre éminent du diocèse d’Avignon fit beaucoup pour une meilleure connaissance des Martyres et leur béatification. Etant vicaire général de l’Archevêque d’Avignon, dans un contexte d’anticléricalisme virulent et de réorganisation du diocèse après les lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat, Mgr donna sur les Martyres une étude très documentée. Cet ouvrage, le premier à être consacré à ce sujet fut imprimé en 1904 à Avignon chez Aubanel frères » (Les Trente-Deux Religieuses Martyres d’Orange, André Reyne, Daniel Bréhier, Aubanel 1995, p.35).

Celui qui a tant fait pour contribuer à faire connaître ces martyres n’aura pas la grâce de connaître de son vivant leur béatification.

Les prémices de la béatification

Le 30 avril 1903, dans un courrier adressé au monastère de Carpentras, Mgr Redon, vicaire général, écrit « avec l’autorisation de Monseigneur l’Archevêque je recueille les documents nécessaires pour obtenir à Rome, à la Congrégation des Rites, l’introduction de la cause de la Béatification des 32 religieuses qui furent guillotinées à Orange en 1794 parmi lesquelles il y eut 13 sacramentines de Bollène. Vos sœurs de Bollène et d’Avignon m’ont déjà donné communication des documents qu’elles ont, et si vous en avez je vous prierai aussi de me les communiquer » (cf 206-285, p 293). La moniale chargée de la rédaction des annales précise « cette lettre nous ravit de joie ! Puisse la cause de nos vénérées martyres, et leur sang répandu, honorer encore la sainte Eglise de Dieu et notre saint Ordre ! Puissent nos admirables sœurs nous servir encore de modèles dans la vertu et en face des ennemis de Dieu ! ».

Ce travail de collecte et de recherche d’actes et de témoignages aboutira à la publication d’une brochure de 38 pages intitulée Documents sur les 32 religieuses guillotinées à Orange en 1794, imprimée par décision de l’archevêque datée du 20 avril 1904, et publiée par les éditions Aubanel Frères, nécessaire au procès de béatification.

Encore un procès !

Ne serait-il pas plus juste de dire « enfin un procès ». En effet, la Commission Populaire établie à Orange ne fut qu’une parodie de tribunal, les documents et témoignages attestent assez que les sentences étaient portées, voire rédigées, avant que les accusés ne soient présentés au juge, et livrés presque aussitôt au bourreau, sans recours possible. Or, la béatification et la canonisation sont le fruit d’un authentique procès contentieux spécifique : les témoignages, les écrits et les faits – et pas seulement les miracles - attestent-ils, oui ou non, que les personnes peuvent être déclarées bienheureuses, puis saintes ?

Par la béatification, le pape « permet qu’un culte public soit rendu à un serviteur de Dieu dans un lieu, une famille religieuse ou une région déterminée », et par la canonisation, le pape déclare par une sentence définitive « qu’un serviteur de Dieu jouit de la gloire éternelle et » ordonne « qu’un culte public lui soit rendu par l’Eglise universelle » (cf. Dictionnaire de Droit Canonique, R. Naz, 1938, Causes de béatification et de canonisation).

Si le culte public des martyrs est attesté au moins depuis le IIème siècle, la procédure qui a conduit au cours du temps à la reconnaissance des saints, a connu bien des évolutions avant d’être fixée au XVIIème siècle par le pape Urbain VIII, avec peu de changements jusqu’au XXIème siècle.

Le procès de béatification se déroule en deux phases. La première, au niveau diocésain, est sous la responsabilité et juridiction de l’évêque du lieu du décès du serviteur de Dieu ; la seconde relève du Saint-Siège.

Dans ce délicat travail d’investigation, Mgr Redon a collaboré étroitement avec Mgr Meffre qui réside à Rome. Dans un courrier du 21 mai 1903, il précise aux moniales de Carpentras « je continue de m’occuper de la cause des religieuses martyrisées à Orange. J’ai envoyé un mémoire à Rome, et Mgr Meffre m’a répondu et m’a indiqué ce que je puis faire dès maintenant. » (Archives du Diocèse d’Avignon, cotation provisoire 206-29, pp 2 et s). Grâce aux recherches de Mgr Meffre, des documents importants pour la cause seront publiés en 1906.


Mgr Meffre

Marie Joseph Auguste Paul Meffre est né le 8 décembre 1858 à L’Isle-sur-la-Sorgue. Ordonné prêtre le 3 juin 1882, il poursuit sa mission de professeur au Petit Séminaire d’Avignon commencée en 1881 jusqu’en 1883. Il est alors nommé vicaire au Thor. Dès 1889, rejoignant l’abbé Crévoulin, son parent, il est nommé chapelain de Saint-Louis-des-Français à Rome, où il succéda à son oncle comme économe de la maison de 1891 à 1898. A cette date il était fait prélat de Sa Sainteté, en 1899, nommé prélat référendaire de la Signature Apostolique, et en février 1904 promu par le pape Protonotaire Apostolique. Dans les registres du personnel du diocèse d’Avignon, il est mentionné à partir de 1900 comme « agent du diocèse à Rome ». Il est décédé le 9 décembre 1928 à L’Isle-sur-la-Sorgue. 

Dans un courrier du 17 mars 1907 (cf. 206-638) adressé à la supérieure d’une communauté de sacramentines, Mgr Redon précise « on a discuté à la Congrégation des Rites sur le titre de la cause des 32 Religieuses (...) et le Postulateur de la Cause, Mgr Meffre a obtenu qu’on y mette le seul nom d’une sacramentine, Iphigénie de Saint-Mathieu (Suzanne de Gaillard) » eu égard à la part prise par les communautés de Sacramentines dans cette cause.


Armoiries de Mgr Meffre, (c) Archives du diocèse d’Avignon

Je ne peux que renvoyer à l’ouvrage cité de Mgr Reyne et du chanoine Bréhier pour les détails du déroulement de cette procédure (pp. 391-421)

Connaitre et faire connaître

Dans un courrier du 21 mai 1903, Mgr Redon écrit «  Nous aurons à faire une enquête sur les grâces et miracles obtenus par l’intercession des nos religieuses martyres et je n’ai aucune indication à ce sujet. Peut-être qu’on a encore rien obtenu parce que l’on n’a rien demandé. Il faudra leur demander et leur faire demander des grâces et de miracles afin qu’elles -mêmes nous donnent les moyens d’obtenir l’introduction de la cause de leur béatification » (Archives du Diocèse d’Avignon, cotation provisoire 206-29, pp 2 et s).

Dans la relation de sa visite au monastère de Carpentras, il souligne le précieux témoignage du monastère de Bollène « Leur Mère Marie du Saint-Esprit a mis par écrit tout ce qu’elle avait entendu raconter par les Premières Mères sur la restauration du couvent après la Révolution, sur les sœurs martyres d’Orange… ces Mères ne tarissaient pas sur les souvenirs dont leurs âmes étaient pleines ! »

Pour les prier, il les faut connaître, et pour les connaître, il faut prendre les moyens de les faire connaître. C’est bien le travail que l’abbé Redon eut à cœur d’entreprendre, notamment par la publication de son ouvrage, évoqué plus haut, Les 32 religieuses guillotinées à Orange au mois de juillet 1794 (Aubanel Frères, 1904, 288 p.).


Monsieur Garriguet

Monsieur Garriguet, prêtre de Saint-Sulpice et supérieur du Grand Séminaire d’Avignon, membre de la Commission d’Examen des Livres recommande en ces termes l’ouvrage à Mgr l’Archevêque « la mort si héroïque de ces intrépides femmes, constitue un des plus beaux épisodes de notre histoire religieuse ». L’archevêque donne son approbation à la publication le 14 avril 1904 en écrivant « nous vous remercions d’avoir rappelé la mort héroïque des ces saintes victimes de la tourmente révolutionnaire. Le récit que vous en avez fait est une belle page de l’histoire religieuse de notre pays ; il monter la foi qui soutenait ces saintes filles, leur calme et leur fermeté, en face de la mort ; et par là il est propre à procurer la gloire de Dieu et l’édification des fidèles ».

Grâces et miracles

Une religieuse ursuline de la Nouvelle-Orléans, la sœur Saint-Louis-de-Gonzague écrit le 2 août 1908 « En la fête de l’Annonciation mercredi 25 mars 1908, j’ai eu le privilège d’assister à une émouvante conférence sur les martyres de Bollène, donnée dans l’enceinte de l’ancien et historique monastère des Ursulines de la Nouvelle-Orléans, par Monsignor Meffre, illustre Prélat Romain et Protonotaire Apostolique. Les détails touchants de la mort héroïque des 32 religieuses guillotinées à orange en juillet 1794, m’impressionnèrent vivement. Mais la pressante exhortation du Prélat à faire une neuvaine en l’honneur des Saintes Martyres me toucha encore plus profondément, car il y avait des années que je priais pour la conversion de mon père, sans pouvoir obtenir cette grâce si ardemment désirée ». La religieuse poursuit « ce fut le samedi 2 mai, jour anniversaire de l’emprisonnement des martyres de Bollène, que mon père se rendit à l’église paroissiale pour se préparer à la confession. Lui qui n’a jamais fait une visite de plus de dix minutes à qui que ce soit, resta trois quarts d’heure devant le Très Saint-Sacrement, se préparant à la confession… Maintenant, il assiste à la Sainte Messe tous les Dimanches, s’agenouille matin et soir pour sa prière, et est entièrement converti de toutes les manières ».

La sœur Saint-Louis-de-Gonzague explique de manière touchante comment elle eût recours à l’intercession des religieuses martyres : "je commençai immédiatement une Neuvaine de Dimanches en leur honneur, récitant le Pater, l’Ave, et le Gloria Patri, invoquant individuellement les 32 religieuses et terminant par la prière suivante :

Daignez, Seigneur Jésus, manifester par des singes, le crédit dont vos servantes jouissent auprès de Vous dans le Ciel, et hâter le jour où nous pourrons leur rendre le culte public de notre vénération

Et de conclure : « Ces vénérables Martyres (...) plaidèrent ma cause avec succès, et m’obtinrent promptement la précieuse grâce pour laquelle ma vénérée Mère avait prié pendant trente ans... »


Antependium de la chapelle des Ursulines de Bollène
Saint Augustin - Sainte Famille - Sainte Ursule

Les religieuses de cette même communauté attestent qu’elles firent une neuvaine pour la santé de leur supérieure « dont la faiblesse augmentait de jour en jour, malgré les soins intelligents et dévoués du médecin et des infirmières », or « avant la fin de la 1re neuvaine, un mieux sensible s’était déjà fait remarquer ; nous en commençâmes une seconde, et depuis le mieux est allé en s’accentuant, de sort que notre Mère est maintenant, on peut le dire, en pleine voie de guérison » (Archives du Diocèse d’Avignon, cotation provisoire 206-683).


Groupe de bienheureuses religieuses ursulines

Introduction de la cause

Au terme de la phase diocésaine de la procédure, les actes dûment recueillis furent envoyés à Rome pour être examinés par la Congrégation des Rites. Parmi ces documents, de nombreuses lettres postulatoires venues du monde entier, demandant au pape qu’il «  daigne ordonner l’introduction de la cause du martyre des 32 religieuses, Iphigénie de Saint-Mathieu et ses compagnes, qui furent en de la foi guillotinées à Orange, au mois de juillet 1794 ». Ces lettres sont l’occasion de recueillir aussi des témoignages de grâces reçues par l’intercession des martyres.


Liste de lettres postulatoires

En juin 1916, Mgr l’Archevêque se rend à Rome où il apprend que la Congrégation donnait un avis favorable à l’introduction de la cause, et que le pape Benoit XV signait le décret d’approbation le 14 juin.

Mgr l’Archevêque annonce cela le 25 juillet en écrivant : « On dit à Rome que la cause est magnifique, plus belle que celle des 16 Carmélites de Compiègne, qui ont été béatifiées depuis plusieurs années. l’Emminentissime Cardinal Vanutelli, ponent de la Cause, a bien voulu nous dire ‘qu’il s’en était épris’ tant elle est séduisante, sublime, riche en héroïsme et en vertus. ». C’est ainsi une étape décisive qui conduira, nous le verrons bientôt, à la célébration de la béatification des 32 religieuses martyres.

Après la nomination de l’Archevêque délégué par le pape pour conduire le procès apostolique, un feuillet de quatre pages fut imprimé afin de contribuer à faire connaître les religieuses martyres (voir document joint).

A notre tour, il nous devons suivre ce chemin pour apprendre à connaître l’histoire de ces femmes, baptisées et consacrées par leurs vœux, fidèles jusqu’au don total de leur vie. Connaissant leur histoire, leurs vies, leurs témoignages, nous pourrons recourir à leur intercession par la prière.

abbé Bruno Gerthoux
Archiviste